ELIASSE : LE BLUES ARC-EN-CIEL DES ILES DE LA LUNE
L’insularité donne toujours
naissance à des identités culturelles fortes. Les Comores en témoignent et tressent
dans cet archipel de
l’Océan Indien sur la route des épices marqué par l’esclavage, des
langues, des cultures, des rites et des musiques. Les influences arabes, perses,
africaines, françaises, indonésiennes, ayant façonné la société de ces quatre
îles du canal du Mozambique suscitent un véritable « conservatoire du
métissage ». Pour autant il faut être au pouls du monde, ce qui n’est pas facile,
et dans la Babel de la Sono mondiale inventer son propre récit. C’est le chemin
qu’emprunte Eliasse au fil de ses expériences. De son
premier groupe folk à celui du chanteur Maalesh, de ses compagnonnages ou
collaborations (comme percussionniste ou choriste) avec Baco, Mikidache, M’Toro Chamou, Nawal, jusqu’à son
envol solo et un premier album, « Marahaba », en 2008.
Ainsi à l’écouter, fidèle à sa nature curieuse, l’on a le sentiment qu’il se
nourrit d’un puzzle d’imaginaires musicaux. Des patrimoines qu’ont nourri rites
soufis, chants de lignage, fêtes profanes, musiques et danses
circonstancielles, vecteurs de sentiments, satires, légendes ou mythes. De même
avec l’écheveau des rythmes ternaires du cru (twaraba, mgodro, shigoma,
sérebwalolo...) fait-il des boutures avec les rythmes binaires occidentaux
(blues, funk, rock). Comme il serpente entre les dialectes autochtones qu’il
épice de français, anglais, malgache ou swahili. Une palette d’approches
combinée à un répertoire mêlant métaphores poétiques et points de vue qui fait
du natif de Moroni, un chanteur assez unique qu’on dira engagé dans la cité
mais qu’il préfère qualifier de « conscient ». Un chanteur qui
apporte un vent de fraîcheur et une indéniable novation du côté de l’Océan Indien
mais qui témoigne aussi d’un fort attachement à une histoire musicale, celle
des pionniers des années 70 lorsque les Iles de la lune revendiquaient leur
émancipation.
Pour en juger, cet album, collier de chansons fortes. Un
répertoire qu’il conduit avec sa guitare et son merlin (sorte de dulcimer) et deux complices capés : Jérémy
Ortal à la basse (Shaolin Temple Defenders, Martha High) et Fred Girard à la
batterie (Sleeppers, Bertrand Cantat, Afrobeat Crusaders). Il
y aborde sous différents angles la situation compliquée de l’archipel, ses maux
endémiques et ses drames comme les noyades des candidats aux kwassas, ces
embarcations de fortune qu’empruntent les « clandestins ». Et ce faisant
son « TwaraBlues » s’élève contre la fatalité de responsables
stipendiés, souhaitant que chacun balaye devant sa porte et espérant un avenir
collectif meilleur. En témoigne cette chanson « Endra » qui évoque
une femme qui eut beaucoup d’enfants mais n’a point connu l’amour et qui espère
que le prochain élu soit le bon. Une chanson qui, in fine, en réfère bien aux
Comores. Ou encore cette fleur de l’indépendance « Ylang-langue » qui
s’est fanée quand elle promettait de fleurir.
A présent, ce nouveau répertoire,
Eliasse va le partager sur les scènes européennes. L’occasion pour ceux qui ne
l’ont pas vu récemment en première partie de Groundation, mythique groupe de
reggae, de découvrir un artiste altruiste et solaire, dont la générosité et
l’humour sont à l’image de ses îles serties de rêves et d’histoires.
Frank Tenaille
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